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            Les Poux-du-ciel en Suisse

 



 

 

 

 


 

 Sur un journal local, année 1923, un jeune passager du « Bréguet 300 HP », écrivait ses impressions lors de sa première « navigation aérienne ». Nous roulons quelques cent mètres à une vitesse vertigineuse, puis..plus de cahots, plus de chocs... on décolle. Vous dire tout ce qu’on ressent à ce moment là est impossible. La terre semble s’enfoncer sous nos pieds à mesure que nous prenons de la hauteur, tandis que les secousses du départ ont fait place à une douceur inénarrable que seul l’avion a le don de nous faire goûter.. » L’article est signé Louis Cosandey, il a 18 ans mais, déjà, le virus de l’aviation l’a rejoint, lui laissant quand même un temps d’incubation.

 Il tâte d’abord de la moto, vers les années 30, dispute des courses de side-car avec un garçon coiffeur comme pencheur, il court ensuite pour améliorer le record du kilomètre lancé à moto, après avoir résolu le problème du poids en adaptant à sa machine des roues de bicyclette, en remplaçant le réservoir par une boite de conserve contenant tout juste la quantité d’essence nécessaire, et en se vêtant que d’un costume de bain. (Heureusement, la décence est sauve).

 Pour compléter par petites touches le portrait de notre personnage, on ajoute un don pour la musique, il jouait n’importe quelles mélodies au piano à l'oreille et imitait parfaitement Charlie Chaplin. C’est à nous, ses filles, de retrouver dans les documents qu’il a laissés les traces de son parcours de « pouilleux ».

 A la fin de 1935, plus de 100 poux du ciel volaient dont deux suisses : ceux d’Albert Perrin à Genève et de Donat Guignard à Sainte-Croix. En 1937/38, papa construisit son premier pou : un pou planeur avec deux ailes égales de 5,0 m x 1,40 m, surface 12m2 environ ; et pourquoi seulement 5 m. d’envergure ? Parce que construit dans un sous sol.

 Laissons donc la parole à Louis Cosandey, dit Coco pour ses amis qui a eu l’excellente idée d’écrire ses souvenirs, sous forme de « feuilleton », pour la revue des Constructeurs amateurs suisses.
 

 Le POU PLANEUR 

 « Pour mon premier pou planeur, je pris contact avec l’Office Fédéral de l’Air ; plans, calculs, visites avant l’entoilage : ce fut O.K. Vite de la toile, du verni-tension, des skis ordinaires à la place des roues..et le 5 janvier 1939 je fis 6 lignes droites au sol, sur une pente à 2 km de chez moi. Le lendemain, sur une pente plus accentuée, je décollais pour la première fois. Grâce à l’aide bénévole de quelques amis j’appris donc très progressivement à voler, la hauteur du point de départ dictant la durée et la hauteur sol du vol. Sur mon livret de vol on peut lire :le 12 février 1939, 20° vol, durée 26 secondes, hauteur 15 m., virage 180°, atterrissage au pied de la pente. Additionnant toutes ces secondes, je totalisais 5 minutes et 34 secondes ; étais-je mûr pour le 21° vol ?

 Mon « manager » et ami Max Firmann, mécanicien, artiste, soudeur expérimenté, chasseur, me dit : « On va amener le Pou en montagne et, de là-haut, tu feras un vol magnifique ». Le 26 février 1939 nous arrivons donc, vers 8 heures du matin, ma Bébé Peugeot + 4 mordus+les sacs et les skis+le Pou en remorque, à la cote 900 m. ; la BB refusant de grimper plus haut dans la vallée, on dételle et on se propose de hisser le planeur jusqu’à un replat à 1450 m. d’altitude. Il est 8h. du matin, on démarre à 4. A 17h. on n’est plus que Max et moi, exténués, de la neige jusqu’au genoux, mais presque au but. On attache le planeur à des sapins, et on se retrouve dans un chalet pour nous restaurer et passer la nuit. Le lendemain, nous trouvons le planeur couvert de neige; on l’amène au sommet et là, je vis l’autre versant de la montagne et le creux de 550 m. que j’aurai sous moi au décollage.. à la mesure de celui que j’avais à l’estomac. Ce fut un vol merveilleux... 4 minutes et 20 secondes inoubliables... et une faim de loup à apaiser. Je fis par la suite plusieurs vols à flanc de montagne et la guerre, hélas ,vint.

 Pendant l’hiver 1939/40, je fabriquai un fuselage avec, à son nez, un moteur de moto Douglas. Il devait entraîner une hélice d’1,60 m. à 1.400 t/min, par un réducteur à chaîne 1/3. Je ne pouvais que voler en cachette sur un pâturage, dans un coin perdu. Je ne fis que quelques petits vols à faible hauteur. Au dernier essai, le carburo givra et je cassai du bois devant un copain, seul témoin de la scène.


 

 Un POU se mêle à la foule des skieurs  

 Pendant la guerre, seul le vol à voile était praticable. Je repris le solde du pou numéro 1 et fit une nouvelle aile avant au profil à la mode ( le NACA 23012 ), tenue par deux mats en tôle façonnés et soudés. Ce n'est qu'en mars 1941 que j'en fis la mise au point sur ma colline des débuts, où un skilift était installé. Le planeur, ailes repliées, montait gratuitement avec pilote à bord. Le 5 janvier 1942, je convoquai deux fonctionnaires de l'Office fédéral de l'air pour des essais officiels; j'oubliais que je n'y avais pas droit, n'ayant pas de brevet de pilote !!! Un ami moniteur me permit après deux jours de prise en mains de passer les brevets A et B de vol à voile; je commençais à être en règle avec les règlements.
 

 Enfin le brevet C de pilote de vol à voile

 Le fuselage du 3 était fatigué, j'en construisis un nouveau pour en améliorer la finesse; ce petit planeur pesait 68kg, dont 10 kg pour le train bien amorti. Calculé à +10 et -7G au poids total en vol de 132kg, les charges alaires étaient de 13 kg/m2 pour l'aile avant ,8kg/m2 pour l'aile arrière qui vole dans un air défléchi. Longerons et couples du fuselage en bon sapin 15 x 15 mm, le tout coffré avec du contre-plaqué de bouleau 2 et 1,5 mm.

  Le 24 novembre 1942,avec le barographe enregistreur attaché au cou avec une ficelle, je pris mon envol et comme convenu, je restai en l'air une heure en y ajoutant un autre quart d'heure pour épater la galerie : brevet C dans la poche.
 

 Le premier POU à moteur

 Avec les ailes du planeur et un moteur AVA à 2 temps, sur un fuselage adéquat, je ne fis que quelques lignes droites à 5m. : pas la peine d'en parler.

 En 1946, Henri Mignet donna aux amateurs le plan de construction de l'HM -290 à ailes repliables en 1 min. Le genevois Roger Mercier le construisit, puis l'essaya et me le donna. Avec un moteur Poinsard 35CV, 2 cylindres opposés, je m'élançai pour une première ligne droite à 1m. du sol. Je le pose gentiment, un peu long... lorsque je vois un caniveau de drainage à une vingtaine de mètres.  Je mets plein gaz d'un coup pour redécoller, mais le moteur tousse, et crac... je me retrouve sans une égratignure au sommet du tas de bois !
 

 L' HM – 293  

 En 1957, je rachète pour 100 francs un pou construit par Albert Perrin de Genève qui avait été expertisé par l'Office fédéral de l'air et immatriculé HB – SUS. Le même Office m'accorda un permis de vol d'essai dans un rayon de 5km autour de l'aérodrome d'Ecuvillens. Je fis de nombreux tours de piste, totalisant en une année, 13 heures de vol et 110 atterrissages. Avec son moteur Mengin 36 CV à 2 cylindres opposés et à double allumage c'était un pou très maniable et stable qui me permit d'effectuer des mesures en vol : mesures d'incidences, de vitesses, d'efficacité de gouvernes, de décrochages, etc. La finesse maximum frisait 9, à 100km/h.
 

 Mon premier long voyage en POU

 Du 18 au 25 août 1958 avait lieu à Mâcon un mini rassemblement d'aéronefs Mignet. J'y étais chaleureusement invité. Monsieur Béraud, président du RSA français, obtint pour moi du Ministère de l'Air un permis spécial de vol. Le HB – SUS ailes repliées, attelé derrière la voiture de mon ami Samuel Chuard, fit le voyage jusqu'à Pontarlier.

Le ciel français l'attendait.

 Mon plan de vol prévoyait un atterrissage à Lons-le-Saunier et Cuisery avant l'arrivée à Mâcon. Je n'avais qu'un réservoir de 9 litres sous le capot, je mis dans mon coffre un estagnon de 10 litres que je pouvais transvaser en actionnant une pompe à membrane d'auto. Le trajet, découpé dans une carte Michelin et collé sur du carton facilitera ma navigation à vue ( pas de boussole ). A Cuisery après un tour de piste, j'atterris face au vent au milieu du terrain mais l'aérodrome est fermé et je n'ai plus que 4 litres d'essence. Le pompiste de la station service voisine alerté par mon bruit de moteur accourt. Il prend mon pou par la queue et l'amène à l'abreuvoir. « D'où venez-vous me demanda-t-il? » « De Suisse », « Eh bien vous êtes culotté! ». Dit par un ancien pilote de l'aéronavale, c'était plutôt flatteur pour moi. Cuisery-Mâcon, navigation facile, la Saône vous y conduit par la main. Mâcon en vue, je passe sur la propriété de la famille Croses, l'échappement sonore de mon 2 cylindres a sonné l'alerte, je vois littéralement jaillir mes amis de la maison !

 A l'atterrissage je n'attendrai pas longtemps l'accueil chaleureux, presque triomphal, qui m'est réservé. J'avais battu un record ? Non...je venais de faire un raid sans escale de 35 km à une vitesse moyenne de 0,08 Mach...! Il faut savoir que je possédais une carte d'élève pilote depuis une année et que je passerai ma licence sur un avion classique en 1965.

 C'est avec la description de ce voyage mémorable que se termine l'écriture de son feuilleton. Papa prévoyait d'y donner suite mais l'envie de construire encore et de voler occupa tout son temps.

 En nous replongeant dans ses documents et dans les nombreux dossiers techniques dont il est difficile ici d'entreprendre un compte-rendu fidèle et détaillé, nous trouvons une page de journal jaunie. C'est la troisième page du « Giornale del Popolo » du 12 octobre 1973 qui titrait: « Le septuagénaire Louis Cosandey, en vol, sur l'incroyable Puce du ciel ».
 

La traversée des Alpes

 C'est vrai, papa a traversé les Alpes, rejoint le Tessin, passé la douane, pour assister en Italie, sur l'aérodrome de Malpensa, au rassemblement des amateurs italiens et le journaliste, dans l'article, décrit ses impressions de vol.

  Mais comment, papa, mordu des monoplaces ( légèreté, finesse etc.) aurait-il entendu le chant des sirènes et construit un biplace ?

  Monsieur Croses, son cher ami partenaire de leurs longues discussions passionnantes et passionnées avait certainement des arguments très convaincants.

  Il lui donne un fuselage en bois et contre plaqué déjà expertisé par Veritas...n'est-ce pas un bon argument et concret ?

 Le biplace HM – 19C – SPG fait son premier vol avec un moteur Salmson 60 CV. en étoile, puis avec un Continental 65 CV.

  C'est de ce pou que parle le journaliste italien auquel il a suffit quelques minutes de vol pour dire que « sa peau vibrait tel que la toile des ailes » . (Ces Italiens toujours sensuels ! ) Ensuite il glousse en expert pour décrire l'effet de « l'aile vivante » et de la « descente parachutale ». Sa conclusion est tout aussi probante : « Avez-vous déjà vu, par hasard, tomber une puce ? »
 

 Souvenirs, souvenirs  

 Décoller, voler et atterrir, il y avait toujours ces trois éléments liés dans la vie de papa. La prudence mais en même temps les candides envies d'essayer, d'expérimenter, de se lancer dans l'aventure. Une façon après coup de raconter ses essais où il dévoilait « la poétique du vol », l'oiseau. Et puis l'atelier après le travail, odeur forte de bois, de colle, d'outils d'artisan, la chignole... et chez nous assis, les plans et les calculs pour lui, mais aussi pour tous les autres amateurs... sa grande famille.

  Relisons encore ses lignes parues dans la revue du R.S.A français : « Voici près de quatorze ans que Henri Mignet lança sur la boule terrestre son fameux bouquin avec le succès que l'on sait : quatorze ans d'expériences au cours desquels « la bête » fit sa maladie d'enfance. Mais maintenant est-il encore permis de douter de la valeur des principes posés par le « Saint Patron » ? Qui voyons-nous pratiquer actuellement le sport aérien en France sans le secours de l'État : le multi-millionnaire... et le constructeur amateur ! Dans le ciel de France, le Norecrin salue au passage... le Pou du ciel, et c'est bien ainsi.

 Cependant, beaucoup trop encore se traînent au sol ou à proximité de celui-ci. Il ne faut pas. « Mais mon moteur ne donne que 17 malheureux CV bien poussifs... ». Raison de plus pour ne pas les fatiguer inutilement. Tu poliras tes ailes, tu caréneras tes tubes et tes mâts, tu rentreras tes épaules dans ton fuselage et surtout tu régleras ton appareil au fifrelin, qui est, comme dit la Goupille, le quart d'un poil fendu en quatre.

 C'est pour te venir en aide, amateur-constructeur, mon frère, que j'écris ces pages. C'est de l'histoire vécue : vécue au grand air, à l'atelier, au laboratoire, par des amateurs comme toi, ayant la foi !  Henri Mignet est parti pour les Amériques... mais son oeuvre se poursuit. Je ne pouvais mieux lui témoigner ma reconnaissance qu'en apportant ici ma modeste contribution. Grâce à lui, j'ai pu goûter aux joies les plus raffinées du sport de l'air : le vol à voile en planeur Pou du ciel.

 

 

 

  Francine, Jonas et Elisabeth - Octobre 2007

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